Bibracte, capitale oubliée des Éduens et berceau de la romanisation des Gaules
Nichée au cœur du massif du Morvan, dans un écrin de nature sauvage, se cache l’une des plus fabuleuses cités gauloises : Bibracte. Capitale politique et économique du puissant peuple celte des Éduens, allié de Rome, la ville fut le théâtre de nombreux événements fondateurs de l’histoire de France. Pourtant, le site reste méconnu du grand public. Redécouvert au XIXe siècle, Bibracte vit cependant renaître la ferveur des chercheurs et des passionnés, faisant de ces ruines l’un des chantiers de fouilles les plus importants d’Europe.
Table des matières
La redécouverte de la mythique Bibracte
On connaît Bibracte car Jules César en fit mention à plusieurs reprises dans ses Commentaires sur la guerre des Gaules, rédigés au Ier siècle av. J.-C. Mais par la suite, le site tomba dans l’oubli…
Les textes antiques
Dans ses écrits, César rapporte que c’est à Bibracte que les Helvètes furent vaincus en -58 av. J.-C., défaite qui marqua le début de la Guerre des Gaules. En -52, lorsque Vercingétorix rallya les Gaulois contre l’envahisseur romain, ce fut également à Bibracte que l’Arverne fut proclamé chef suprême des armées gauloises. Par la suite, César y établit ses quartiers d’hiver en -51/-50 et y rédigea une partie de ses Commentaires.
Mais après la conquête des Gaules, Bibracte disparut des récits. Seul le géographe Strabon, une génération après César, la mentionne encore comme place forte du peuple éduen. Puis le silence… La capitale des Éduens fut transférée sous Auguste à Augustodunum (l’actuelle Autun) et Bibracte fut oubliée.
Les controverses du XVIe au XIXe siècle
Ce n’est qu’au XVIe siècle que des érudits et aristocrates commencèrent à s’intéresser au passé antique de leur région et que la question de l’emplacement de Bibracte resurgit. Trois thèses principales s’affrontèrent :
- La première situait Bibracte à Autun, la ville gallo-romaine étant bâtie sur l’oppidum gaulois.
- La seconde localisait la cité à Beaune, défendue par l’érudit Hugues de Salins.
- La troisième plaçait Bibracte sur les pentes du Mont Beuvray, s’appuyant sur :
- La ressemblance entre Beuvray et Beuvrect, nom médiéval de la montagne.
- Des traditions transmises par des chroniques médiévales.
- L’existence ancienne d’une foire annuelle au Mont Beuvray.
- La découverte de poteries et monnaies gauloises par le curé de Saint-Léger-sous-Beuvray en 1725.
C’est finalement cette dernière thèse, défendue par l’érudit autunois Jacques Gabriel Bulliot au XIXe siècle, qui l’emporta grâce aux fouilles qu’il entreprit de 1867 à 1907 avec son neveu Joseph Déchelette. En plein engouement romantique pour les Gaulois et la période celte, leurs travaux firent progressivement consensus sur la localisation de Bibracte au Mont Beuvray.
Un chantier archéologique d’envergure européenne
Si les fouilles de Bulliot puis de Déchelette permirent de situer definitvement Bibracte au Mont Beuvray, le site retomba dans l’oubli dans la première moitié du XXe siècle. Il fallut attendre le mandat de François Mitterrand dans les années 1980 pour que le chantier soit relancé.
Le renouveau des fouilles dans les années 1980
En 1984, sous l’impulsion du Président Mitterrand, député de la Nièvre attaché à l’histoire de sa région, Bibracte fut proclamé « site archéologique d’intérêt national ». Cela permit de débloquer des fonds et de construire un ambitieux programme de recherche archéologique, conçu dès le départ comme une vaste collaboration scientifique européenne. Un « Centre Archéologique Européen » vit le jour, regroupant le site, le musée et le centre de recherche de Glux-en-Glenne.
Une coopération scientifique internationale
Aujourd’hui, le site de Bibracte est devenu un immense laboratoire de fouilles pour des centaines d’archéologues, chercheurs et étudiants venus des quatre coins de l’Europe :
- France
- Belgique
- Grande-Bretagne
- Allemagne
- Autriche
- Suisse
- Hongrie
- Pologne
- République Tchèque
Une douzaine d’universités et institutions scientifiques participent ainsi chaque année aux recherches estivales, sous la coordination du Centre Archéologique Européen. Tous travaillent ensemble pour mieux comprendre l’histoire et le fonctionnement de cette cité gauloise à son apogée.
Preuve de son importance scientifique, Bibracte bénéficie de multiples labels : site classé Monument Historique depuis 1985, Grand Site de France depuis 2007.
2000 ans d’occupation du Mont Beuvray
Avant de devenir au IIe siècle av. J-C. la capitale du peuple gaulois des Éduens, le Mont Beuvray était déjà occupé depuis des millénaires, comme l’attestent les récentes découvertes archéologiques.
Une occupation ancienne
Les fouilles ont en effet mis au jour des traces d’occupation humaine dès le Néolithique, il y a plus de 5000 ans, notamment au niveau de la porte du Rebout. De nombreux objets de l’âge de la pierre polie (haches, flèches, couteaux…) ont également été découverts par Bulliot au XIXe siècle sur le Champlain, point culminant du site.
Pourtant, ce n’est qu’entre -120 et -80 que le Mont Beuvray se dota de puissants remparts, marquant la fondation de l’oppidum bibracte par les Éduens. En effet, sa position stratégique au carrefour des bassins de la Seine, de la Loire et de la Saône en faisait un lieu de pouvoir politique et économique de premier plan.
Un siècle de gloire
Alliés de Rome, bénéficiant du commerce entre Celtes et Méditerranéens, les Éduens firent de Bibracte une capitale prospère, qui compta entre 5 000 et 10 000 habitants. Le site était organisé par quartiers avec des zones artisanales près des remparts, des habitats aristocratiques et lieux de cultes sur le plateau central et des espaces politiques et religieux sur les hauteurs (la Chaume et la Terrasse).
Bibracte connut son apogée au moment de la Guerre des Gaules. Elle résista aux invasions helvète puis romaine dans les années 50 av. J-C. Mais par la suite, une partie des Éduens se romanisa rapidement : on retrouve à Bibracte des domus et thermes sur le modèle romain dès 30 av. J.-C.!
Une lente agonie
Vers -15, Auguste fonde la nouvelle capitale éduenne d’Augustodunum (Autun) dans la plaine, à 25km de Bibracte. Dès lors, la cité du Mont Beuvray décline lentement. En un demi-siècle, elle se vide de ses habitants. Seuls subsistent quelques lieux de cultes fréquentés par des pèlerins. Le souvenir de la mythique cité gauloise s’estompe peu à peu…
Organisation et fonctionnement de la « plus grande ville gauloise »
Grâce aux fouilles archéologiques du XIXe puis du XXe siècle, les archéologues ont pu mettre au jour l’organisation interne de Bibracte, dont Caesar vantait l’opulence. Son fonctionnement et son architecture témoignent de l’habileté politique et économique du peuple Éduen à la fin de l’indépendance gauloise.
Des remparts invincibles
Pour protéger leur capitale, les Éduens édifièrent d’imposants remparts de plus de 5km de long pour 135ha, considérés comme les plus grands de l’époque en Europe occidentale. Construits selon la technique gauloise du murus gallicus (parement de pierre et poutres de bois), ces murs de 4 à 5m de hauteur étaient précédés de fossés de plus de 5m de large et 4m de profondeur !
Une quinzaine de portes permettaient d’y entrer, dont la célèbre Porte du Rebout, qui avec ses 20m de large donnait accès à la voie principale traversant Bibracte sur toute sa longueur (15m de large).
Fait exceptionnel, les archéologues ont découvert l’existence d’une seconde enceinte, plus ancienne et encerclant près de 200ha! Construite selon la même technique, elle fut en partie démantelée pour utiliser ses pierres et édifier le mur intérieur vers -100. Ce double rempart témoignerait de l’accroissement rapide de la ville aux IIe et Ier siècles av. J.-C.
Une cité organisée en quartiers
À l’intérieur des murs, Bibracte était organisée en plusieursquartiers :
- Des quartiers artisanaux (métallurgie du bronze, du fer, émaillerie…) près des remparts (Côme Chaudron)
- Un centre politique et économique avec des entrepôts de denrées et le fameux bassin monumental en granite
- Un quartier aristocratique avec des domus à l’italienne (Pârc aux Chevaux)
- Des lieux de cultes avec sources, fontaines et temples
- Des espaces politiques et religieux sur les hauteurs (la Chaume et la Terrasse)
Une grande voie centrale structurait l’ensemble, bordée de portiques à certains endroits.
Une romanisation précoce
Alliée de longue date à Rome, la civilisation éduenne subit l’influence de la culture gréco-romaine très tôt, dès le IIe siècle av. J.-C. selon certains historiens. Et les fouilles de Bibracte en témoignent !
On y a retrouvé de nombreux vestiges de maisons à l’italienne (domus avec atrium, hypocauste…) datées du Ier siècle av. J.-C. Fait encore plus surprenant, une véritable basilique romaine, probablement liée à un forum, a été mise au jour sous une domus d’époque augsutéenne. Construite vers -30, il s’agit du plus vieil exemple d’architecture publique romaine en pierre au nord des Alpes !
Cette romanisation architecturale et urbaine précoce à Bibracte souligne l’habileté politique des élites éduennes. En adoptant le mode de vie romain, ils surent préserver leur statut privilégié auprès de leurs vainqueurs.
Redécouvrir la vie quotidienne à Bibracte
Grâce aux centaines de milliers d’objets mis au jour depuis le XIXè siècle, les archéologues ont pu retracer de nombreux aspects de la vie quotidienne à Bibracte il y a 2000 ans.
Une intense activité artisanale et commerciale
Située à la croisée des civilisations celtiques et méditerranéennes, la capitale éduenne était un important centre artisanal et commercial, à son apogée vers -50.
On y trabaillait le fer, le bronze, l’émail… comme en témoignent les nombreux ateliers métallurgiques retrouvés près des remparts. Des mines d’extraction ont même été découvertes récemment dans les environs, montrant que Bibracte dominait une véritable filière locale de production métallurgique.
Le commerce était également très développé. Le contrôle des péages et droits de douane sur la Saône et les routes terrestres permettant aux Éduens de taxer tous les produits gaulois et romains circulant avec le nord de la Gaule et l’Europe. Les entrepôts et caves à grains retrouvés au cœur de la ville témoignent du rôle de Bibracte dans la redistribution des denrées méditerranéennes (vin, huile, salaisons…) vers le monde celte.
Une aristocratie cosmopolite
Les élites éduennes vivaient dans de riches domus à l’italienne, avec atrium, jardins, bains décorés de fresques et de mosaïques… Un vrai mode de vie à la romaine!
Ces aristocrates servaient souvent de magistrats ou officiers cavalry, en témoignent les casques, armes et bijoux retrouvés dans certaines sépultures princières. Ils faisaient également office de druides, assurant les fonctions religieuses auprès d’une population.